Le poste le plus éprouvant de l’entreprise

05.12.2022
4/2022

Pourquoi voulez-vous une fonction dirigeante? La réponse à cette question est décisive pour le succès ou l’échec des entreprises, affirme Patrick Lencioni. D’après lui, assumer une responsabilité implique forcément des tâches désagréables et n’est pas une récompense.

Mener des entretiens difficiles et désagréables fait partie des tâches d’une fonction dirigeante – pas forcément des tâches les plus importantes, mais de celles qui sont le plus souvent négligées. «Diriger des personnes signifie les aider à définir l’orientation générale de leur travail et s’assurer que celle-ci est adaptée et comprise, mais aussi de rester suffisamment informés pour identifier les potentiels obstacles et problèmes le plus tôt possible. Il est également important de coacher les cadres pour qu’ils améliorent leur comportement afin de maximiser leurs chances de réussite.» 

Une fonction dirigeante implique des tâches embarrassantes comme attirer l’attention de personnes hautement qualifiées sur leur comportement inconvenant, leur odeur corporelle ou leur manque d’empathie et veiller à ce que cela change. Ces tâches incombent résolument aux responsables et ne doivent pas être déléguées, affirme Patrick Lencioni. Selon lui, le prétexte de ne pas vouloir «microgérer» des collaborateurs dotés de qualifications techniques est une excuse stupide. «Faire confiance à une personne ne constitue en aucun cas une raison pour ne pas la diriger», écrit Patrick Lencioni dans son dernier ouvrage. Il fait référence à plusieurs reprises à Alan Mulally, l’ancien CEO de Ford et de Boeing manifestement très admiré, qui «abordait avec le personnel pratiquement tous les sujets: de la préparation insuffisante d’une présentation à l’impolitesse à l’égard des collègues en passant par l’utilisation du téléphone portable pendant une réunion».

D’après lui, cette approche est importante car bon nombre de tâches essentielles pour la culture d’une organisation sont délaissées par le sommet de la hiérarchie, ce qui peut être la cause de l’échec d’entreprises tout entières. Patrick Lencioni explique ce constat par l’égoïsme des dirigeants qui pensent que ce genre de fonction doit être agréable et plaisante et que c’est le privilège des «chefs» de choisir leurs tâches. Dans son dernier ouvrage The Motive, l’auteur du livre Les cinq dysfonctions d’une équipe ne propose pas concrètement de solutions, mais il décrit dans un premier temps les problèmes induits par un leadership inadéquat.

Pour Patrick Lencioni, ce livre est le plus récent et le plus mince qu’il ait écrit, mais c’est également le plus important à ce jour. Il recommande vivement aux personnes qui n’auraient lu aucun de ses ouvrages sur le leadership de commencer par celui-ci. Pourquoi? Parce que The Motive ne donne aucun conseil en matière de leadership mais soulève plutôt la question fondamentale de savoir si voulez assumer une fonction dirigeante pour les bonnes raisons ou si vous devriez y renoncer parce que vous n’êtes pas à la hauteur.

Selon l’auteur, deux motivations poussent les gens à assumer une responsabilité dans les organisations. 

  • Les récompenses que promet le rôle de responsable. La réputation, le pouvoir, l’argent – et la liberté de faire ou de ne pas faire ce que l’on veut. 
  • La tâche associée à la responsabilité, l’attrait de servir un objectif et de faire progresser une organisation par tous les moyens possibles. 

La première raison ne doit jamais être complètement dissociée de la deuxième, admet l’auteur. Mais plus elle est présente, plus le dirigeant risque de ne pas faire son travail correctement.

Dans un récit quelque peu inhabituel mais facile à lire, Patrick Lencioni relate, au début du livre, la rencontre entre deux CEO de moyennes entreprises californiennes, toutes deux issues du même secteur mais qui ne pourraient être plus différentes l’une de l’autre. Au cours d’un dialogue, le CEO qui réussit le mieux tente de convaincre son interlocuteur: si l’entreprise de ce dernier enregistre une moins bonne performance, ce n’est pas parce qu’il ne fait pas assez bien son travail de dirigeant, mais parce qu’il le fait carrément mal ou pas du tout. 

Le déroulement prévisible de l’histoire n’est pas d’une grande importance, les conclusions en revanche le sont. Une fois encore, l’auteur citent les cinq domaines habituellement délaissés par les dirigeants dont les motivations sont inappropriées. Tous ces domaines comptent parmi les tâches importantes, voire les plus importantes, d’un haut dirigeant et elles doivent absolument être mentionnées en raison de leur caractère symptomatique. Patrick Lencioni répète ainsi la théorie des dysfonctions mais cette fois, simplement pour la fonction dirigeante.

Les cinq lacunes des cadres dirigeants intéressés principalement par la récompense:

  • Développer l’équipe dirigeante.
  • Diriger les subordonnés (et veiller à ce qu’ils le fassent aussi).
  • Mener des entretiens désagréables et difficiles.
  • Organiser des réunions réellement efficaces.
  • Communiquer avec le personnel de façon permanente et répétée.

Selon Patrick Lencioni, toutes ces tâches sont inconfortables, éprouvantes et non liées à un domaine spécialisé. C’est pourquoi elles sont peu appréciées, considérées comme «indignes d’un responsable», voire comme du temps perdu par les dirigeants qui ont pour motivation principale la récompense, le titre et non véritablement le management.

Les dirigeants dont les motivations sont appropriées se distinguent en revanche, d’après l’auteur, par leur volonté d’instruire l’organisation et de la guider activement, en mettant sciemment de côté leurs propres intérêts et compétences techniques. «Il est grand temps, je pense, qu’en tant qu’individus et en tant que société, nous adoptions comme norme qu’en matière de conduite, le dirigeant ne passe plus jamais avant les personnes dirigées.»

Patrick Lencioni: The Motive – Why so many leaders abdicate their most important responsibilities, John Wiley, 2020, ISBN 978-1-119-60045-9