Travail de milice: un droit constitutionnel?

28.04.2020
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Quand l’engagement de milice d’un employé entre-t-il en conflit avec son travail rémunéré? Alors que les employeurs tolèrent encore largement le service militaire, la question est plus complexe pour les fonctions politiques ou autres mandats publics – notamment en raison d’articles de loi contradictoires.

Les réponses négatives étaient neutres et stéréotypées. Mais il a déjà constaté une amorce de changement dans les entretiens d’embauche, dès qu’il a été question de son grand engagement politique et du temps qu’il implique, raconte au «Tagesanzeiger» le président des Vertslibéraux de la ville de Zurich: il avait abandonné en 2016 son emploi à la banque et constaté ensuite à quel point il peut être difficile, même pour des per-sonnes qualifiées, de trouver un poste quand leur emploi du temps ne semble pas coïncider avec le monde du travail actuel qui se rapproche du 24/7.

Il est plus facile de se lancer dans une activité de mi-lice ou une carrière politique pour ceux qui ont déjà un emploi – c’est le cas du moins en théorie. Ils ou elles doivent certes, d’après la loi, accomplir leur charge de travail contractuelle et même au besoin des heures supplémentaires. Et ils ont un «devoir de fidélité». Ce qui, en pratique, signifie surtout que même durant leur temps libre, ils ne peuvent agir contre les intérêts économiques importants de leur employeur – comme l’illustre l’exemple de la juriste d’une association de propriétaires qui coordonnait dans un cadre privé des plaintes de locataires.

Cependant, l’employeur ne peut s’opposer qu’à titre exceptionnel à un mandat politique, par exemple en raison du caractère tendancieux de certaines orien-tations politiques, ou si le temps pris sur le travail est manifestement trop important, ou encore pour les postes qui impliquent une absence fréquente. Les mêmes limites étroites s’appliquent aux restrictions contractuelles liées à une fonction publique, ce qui n’est toutefois pas rare dans la pratique.

Inversement, l’employeur doit considérer plus que ses seuls intérêts commerciaux, comme par exemple la santé de ses collaboratrices et collaborateurs. Il ne peut pas intervenir uniquement lorsque une personne se sent débordée – en théorie, il doit même le faire –, il a aussi un «devoir d’assistance» envers son personnel.

La marge d’interprétation pour de nombreux conflits liés au droit du travail pouvant découler d’une activité extraprofessionnelle d’un ou d’une employé-e oscille entre ces deux principes, à savoir la loyauté des em-ployés et le devoir de protection de l’employeur.

15 jours de travail payés

L’art. 324a du Code des obligations stipule certes que l’employeur doit accepter, et même payer intégralement, 15 jours d’absence au travail par an pour «accomplis-sement d’une obligation légale ou d’une fonction pu-blique». Durant la première année de service, sur un délai de carence de trois semaines et par la suite sur une période plus longue, en principe en appliquant l’échelle dite «bernoise», «bâloise» ou «zurichoise». Cette obligation de verser le salaire vaut aussi pour l’exercice d’une fonction recherchée au départ de manière volontaire.

La Confédération et d’autres employeurs étatiques ac-cordent ce délai de carence pour l’exercice d’une fonction au sein d’un organe communal, cantonal ou fédéral. Sinon, cette règle du Code des obligations est surtout appliquée dans l’armée, où l’assurance pour perte de gain intervient et couvre les frais de l’employeur.

Dans quelques rares cas, les employés insistent à faire valoir leur droit selon le CO, même si l’obligation de payer le salaire s’étend également à des tâches au sein d’un organe législatif, de commissions spécia-lisées, d’exécutifs communaux ou d’autres fonctions comparables.

Pas de protection contre le licenciement

Par rapport à l’obligation de poursuivre le paiement du salaire, la protection contre le licenciement abusif va bien moins loin dans le cas d’activités extraprofessionnelles. Ce ne sont souvent que les fonctions officielles pour lesquelles il existe une obligation légale (art. 336 al. 1 lettre e CO): dans la pratique légale, il s’agit exclusivement de fonctions obligatoires comme le service militaire, le témoignage en justice, les rôles de scrutateur, de curateur, éventuellement le service d’incendie ou les postes politiques à l’exécutif avec obligation d’exercice. Les missions bénévoles, en revanche, n’offrent aucune protection contre le licenciement abusif.

Les tribunaux ont entretemps tranché que le sport militaire doit être considéré comme bénévole et ne doit pas être soutenu par l’employeur; le service militaire d’une femme, par contre, constitue une obligation légale dans la mesure où elle est entrée volontairement dans l’armée. D’ailleurs, en vertu des accords bilatéraux avec l’UE, l’obligation ne se limite pas aux militaires de l’armée suisse, mais aussi à ceux d’autres pays européens. Pour les devoirs politiques d’un parlementaire cantonal ou d’un membre de l’exécutif d’une commune en revanche, il n’y a aucune protection contre le licenciement. Si une personne se donne la peine d’assumer un tel rôle ou même accepte d’y consacrer une partie de son temps libre, elle peut se voir licencier sans égard pour les délais de carence.

Paradoxalement, un employeur doit donc en principe laisser disposer une conseillère nationale, un membre d’une municipalité ou un président d’école publique d’heures de travail rémunérées – mais dans un même temps, il est en droit de les licencier en motivant sa dé-cision par le temps que leur prend leur mandat externe.

La pratique et la littérature juridiques se penchent depuis des dizaines d’années sur cette question complexe. Le très réputé expert bâlois du droit du travail Frank Fischer défendait dans ses publications juridiques le point de vue que ces fonctions bénévoles représentent un droit constitutionnel et qu’elles ne peuvent donc pas servir de prétexte à un licenciement (art. 336 al. 1 lettre b CO). Quiconque ne veut pas se laisser entraîner dans ces discussions techniques a tout intérêt à se renseigner au préalable auprès de son employeur avant d’accepter un mandat politique ou une fonction publique ou de milice.

L’avocat Adrian Weibel est chef du service juridique de l’ASC. Ce service est à votre disposition en tant que membre pour tout renseignement relevant du droit du travail et peut vous fournir des conseils gratuits et compétents:

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