Un quartier doté de sa piste d’atterrissage

A l’aéroport de Zurich, le plus grand complexe immobilier de Suisse, «The Circle», est en passe d’être inauguré. Ce projet colossal a pour objectif de consolider durablement la fonction de centre de l’aéroport. Les experts y voient un réel potentiel, mais aussi des risques. 

D’un côté, le parc, un espace de verdure dont la superficie équivaut à dix terrains de football, équipé d’un jeu d’eau vaporeux à son point culminant et d’une télécabine pour les visiteurs. De l’autre, les parkings, les terminaux et l’activité grouillante du plus grand aéroport de Suisse.

Entre les deux: un nouveau jalon architectural en demi-cercle, regroupant toutes les offres majeures de la vie moderne – shopping, gastronomie, hôtellerie, mais aussi clinique de soins ambulatoires de l’Hôpital universitaire de Zurich. Nouveau centre d’affaires du site le mieux desservi de Suisse, The Circle compte 180 000 m2 de surface utile sur seulement 30 000 m2 de surface au sol. Bâti selon les standards Minergie, sa consommation d’eau est réduite, il dispose de sa propre installation photovoltaïque et son isolation phonique et thermique est ultramoderne. En son centre, une zone piétonne couverte qui est conçue sur la base de la notion d’espace d’une vieille ville japonaise. Le parc et The Circle se conjuguent en un campus wifi, connecté de A à Z.

The Circle n’est pas un simple temple de la consommation à l’américaine, mais un quartier animé de Zurich, notamment en raison de l’implantation sur place des sièges de grands groupes (Flughafen AG, Microsoft) et d’autres postes de travail. Ce nœud de communication doit devenir un lieu de destination: pour les pendulaires, les patients de la clinique et les excursionnistes qui voudront profiter du parc et de l’offre de prestations de la vie quotidienne, de la blanchisserie à la salle de fitness en passant par l’espace de coworking (3000 m2). The Circle renonce toutefois aux appartements car les avantages d’un aéroport en tant que nœud de communication ne se prêtent guère à l’habitat.

La Suisse, pays supposé du compromis, de la lenteur et de la norme monotone, se dote avec The Circle d’un épicentre encore inédit, prééminent et dédié à la modernité. Faisant fi des préjugés, le pays se révèle être depuis toujours une pépinière d’idées et de concepts novateurs d’où émergent des initiatives (individuelles) et des projets audacieux – du tunnel ferroviaire du Gothard à la Croix-Rouge. Le projet The Circle mise sur la vision qui fait des aéroports les noyaux des futures mégapoles, à l’instar des gares jadis. 

Kees Christiaanse le confirme: «Avec la construction de The Circle, l’aéroport de Zurich a pris une décision visionnaire extrêmement courageuse.» Cet urbaniste et concepteur d’aéroport néerlandais appartenait, avec d’autres sommités, à l’équipe de consultants pour la conception de la nouvelle ville aéroportuaire. Il compte à son impressionnant palmarès la supervision de l’urbanisme et de l’architecture lors de la construction de l’aéroport d’Amsterdam Schiphol, la construction de l’aérogare d’Eindhoven et la direction de mandats de conseil pour l’agrandissement de plusieurs aéroports à travers le monde.

A ses yeux, l’audace du projet réside surtout dans le fait que le plus grand bâtiment de Suisse a été réalisé d’une traite. De fait, il avait été prévu à l’origine de décliner la construction en plusieurs phases. «En choisissant la variante la plus rapide, on prenait des risques financiers», souligne le Néerlandais, qui est professeur émérite à l’institut de l’urbanisme (Institut für Städtebau) de l’EPF Zurich et accompagne sur mandat l’aéroport de Zurich pour ses projets d’infrastructure et d’agrandissement.

Un microcosme autonome

A l’EPFZ, K. Christiaanse a également créé, avec d’autres experts, la plateforme de recherches «Airports & Cities». Ce groupe de scientifiques est à l’origine de publications majeures, dont l’ouvrage «The Noise Landscape». Le Néerlandais s’est fortement engagé dès le début du projet The Circle, a été membre du jury pour le choix du projet gagnant et a ensuite travaillé dans l’organe de suivi de la construction. Selon lui, les chances au niveau commercial de la nouvelle ville aéroportuaire zurichoise sont élevées. «Je considère que ce projet de grande envergure est légitime car il est conçu comme un quartier urbain couvert, fort d’une grande flexibilité et diversité d’utilisation, ce qui lui permet de fonctionner en microcosme autonome.» La situation centrale de The Circle, dans l’agglomération immédiate de Zurich, est une condition sine qua non de la réussite.

Le fait que l’aéroport de Zurich soit déjà un carrefour de mobilité parfaitement desservi fournit des arguments supplémentaires en faveur de la construction de The Circle, qui concentre en lui-même une multitude de fonctions, explique K. Christiaanse. «En effet, au moins autant de pendulaires terrestres que de passagers aériens utilisent la gare ferroviaire de l’aéroport.» The Circle n’est donc pas uniquement un booster de fréquence pour l’aéroport et les compagnies aériennes. Quant à l’aéroport, il a, avec sa fonction de centre, un impact précieux et dynamisant sur la vie urbaine de l’agglomération. «Il y a donc une interaction mutuelle bénéfique aux deux entités.»

Selon K. Christiaanse, la typologie de Zurich ressemble à d’autres aéroports européens tels que ceux de Copenhague, Vienne, Amsterdam, Hambourg ou Francfort. Ces derniers disposent tous d’une proximité historique et croissante avec la ville, d’une accessibilité très efficace et donc d’un excellent profil de mobilité. «Et ce, en contraste radical avec l’Amérique et l’Asie, où les aéroports sont en général loin des villes et ne disposent, pour la plupart, pas d’un bon raccordement aux transports publics.» Un exemple européen de cette typologie d’aéroport décentralisé est celui de Munich, dans lequel le Néerlandais est également impliqué en tant qu’expert de la planification actuelle de son agrandissement. L’aéroport de la capitale bavaroise serait plutôt difficile d’accès et ne contribuerait donc pas à une concentration urbaine. «Pour autant, il a l’avantage de fonctionner sans problèmes majeurs de pollution sonore et atmosphérique. De plus, il peut être agrandi quasiment sans obstacles spatiaux ou politiques.»

K. Christiaanse estime qu’un agrandissement supplémentaire est possible à Zurich, même après la finalisation de The Circle. «Au vu de la qualité de son raccordement, qui est proche de celle d’une plateforme internationale de très grande envergure, la taille de l’aéroport de Zurich reste encore modeste.» Il ne s’agit donc pas d’accroître en permanence les fréquences de vol mais plutôt de les optimiser tout en consolidant l’aéroport dans sa qualité de centre urbain.

Dépendant des flux de passagers?

Le concept d’exploitation de The Circle et les paramètres décisifs sur lesquels il repose sont aussi évalués comme tout à fait prometteurs par d’autres spécialistes de l’urbanisme et de la mobilité. Pour Marta Kwiatkowski, qui se penche sur les thèmes de la mobilité et de l’urbanisme à l’Institut Gottlieb Duttweiler (GDI) de Rüschlikon près de Zurich, la densification autour des nœuds de communication est une tendance de fond depuis des années. «The Circle est la suite logique d’une création progressive de plateformes, comme on en observe depuis longtemps dans les aéroports et les gares.» La motivation première est la fréquence élevée de passagers dont il faut exploiter le pouvoir de consommation et d’achat. C’est la raison pour laquelle M. Kwiatkowski est persuadée que des projets comme The Circle recèlent non seulement des potentiels commerciaux, mais également des risques non négligeables. «En effet, dès que les flux de circulation aérienne ralentissent pour des raisons spécifiques, comme actuellement avec la pandémie, la demande dans ces centres est directement impactée.»

La spécialiste du GDI ne croit pas à un potentiel autonome important de The Circle, c’est-à-dire à une exploitation fructueuse persistante, entièrement indépendante des infrastructures de transports liées. «Nous constatons dans nos enquêtes que les voyageurs de loisirs ne sont pas les seuls à chercher des sites urbains, les organisateurs de conférences et d’événements le font aussi et la majorité d’entre eux préfèreront le centre-ville de Zurich à The Circle. Cela pourrait s’avérer être un désavantage pour celui-ci.» D’après M. Kwiatkowski, les touristes qui planifient un week-end à Zurich envisageront de séjourner dans les hôtels situés dans The Circle surtout s’ils arrivent en avion. Le bon raccordement de l’aéroport au rail est en outre un argument qui attirera plus les gens de l’aéroport vers la ville qu’inversement. A moins que l’on réussisse à créer un atout unique absolu qui fonctionne indépendamment du lieu.

C’est pourquoi M. Kwiatkowski pense que The Circle est appelé à prouver son attractivité permanente, même après l’engouement initial lié à l’ouverture, et à se renouveler sans cesse. «Au début, la variété des offres fonctionne encore, mais dès que les premiers changements de locataires surviennent, tout devient plus exigeant et il faut en permanence prouver le bon positionnement.» Pour ce faire, il est nécessaire de faire jouer la synergie entre les locataires. Attirer toujours et encore l’attention d’un public plus large requerra beaucoup de souplesse et de flexibilité, aussi par le biais d’événements et d’offres culturelles de haut niveau. «On doit faire tourner le moteur en permanence.»

Renouvellement permanent indispensable

Kees Christiaanse partage cette pensée car il sait par expérience que, dans ce genre de projets,  les concepts rigides ne correspondent pas à la réalité. «Dans la plupart des cas, le setting initial d’un complexe immobilier de ce genre et de cette taille est largement ajusté et modifié déjà dix ans après l’ouverture.» C’est la raison pour laquelle il est impossible de décrire le concept d’exploitation de The Circle avec des «utilisations bien définies»; il faudrait plutôt parler de «différents types d’espace» tels les surfaces de vente, espaces de restauration, chambres d’hôtel, bureaux, salles de congrès ou auditoires. «Même la faculté de médecine de l’Université de Zurich a loué des bureaux dans The Circle, ce qui illustre parfaitement la flexibilité et la souplesse du projet.»

L’impatience règne déjà chez Zurich Tourisme où l’on attend beaucoup de The Circle. «Toute la destination profitera durablement des nouvelles capacités créées dans le secteur des congrès et des réunions», affirme son directeur, Martin Sturzenegger. D’autant plus que le tourisme d’affaires génère près de la moitié des nuitées à Zurich. M. Sturzenegger compte sur un nouveau potentiel de visiteurs, également pour la ville. «Les nouvelles infrastructures, y compris les deux hôtels à l’aéroport, attireront de nombreux voyageurs d’affaires qui feront certainement un détour par la ville.» Seul bémol: «Malheureusement, The Circle ne permet pas d’accueillir des congrès de plus de 1300 personnes, si bien que Zurich reste fermée à plus de la moitié des congrès internationaux.» Pour autant, l’idée de «mini-destination» plaît beaucoup au responsable du tourisme zurichois; pour lui, The Circle a une approche novatrice passionnante pour le commerce de détail et affiche une variété judicieuse d’utilisateurs de référence.

Pour le constructeur urbain et d’aéroport Kees Christiaanse, The Circle devrait être rentable. Un regard vers son pays d’origine vient renforcer sa position. «Amsterdam Schiphol est l’un des rares aéroports disposant d’une concentration comparable d’immobiliers à proximité immédiate de l’aérogare. De plus, il est aussi un nœud de communication ferroviaire et se situe tout près du centre-ville.» Schiphol, dont la prospérité future ne fait aucun doute pour le Néerlandais, est en effet une très bonne référence pour Zürich Kloten.