«Une organisation composée de clones ne saurait être créative»

19.06.2022
2/2022

Luc Bretones explique comment les entreprises doivent s’y prendre pour régler les conflits de façon productive et qu’au final, ceux-ci profitent à tout le monde. Le fondateur du NextGen Enterprise Summit considère les décisions collectives comme le bénéfice des conflits. 

Que signifie l’aptitude au conflit pour vous personnellement?

Enormément de choses. Au cours de mes 25 années d’expérience en management au sein d’entreprises de toutes tailles, j’ai observé à maintes reprises que les conflits peuvent être positifs.

Mais ce n’est pas toujours le cas.

Il arrive que les conflits soient toxiques, notamment lorsque les règles ne sont pas claires ou lorsqu’elles sont claires mais ne sont pas respectées. Les conflits existent dans toute organisation, et c’est normal. Cela devient dangereux, quand ils sont toxiques et permanents.

Comment les conflits naissent-ils dans les entreprises?

Les conflits surviennent quand chacun campe sur ses positions. Dans les entreprises hiérarchiques classiques, où seuls la direction et les managers prennent les décisions, les conflits sont inévitables. Dans les entreprises qui accordent de l’importance à la hiérarchie des équipes, il est possible de convertir les conflits en décisions collectives.

Les conflits deviennent toxiques lorsque les règles ne sont pas claires ou lorsqu’elles sont claires mais ne sont pas respectées.

Luc Bretones

Que pensez-vous du fait que les conflits de générations sont aujourd’hui considérés comme le principal risque de démissions, voire de grandes vagues de démissions?

Les conflits de générations ne sont qu’un facteur parmi tant d’autres. La raison principale réside dans un problème au niveau de la direction d’entreprise. Pour mon ouvrage intitulé «L’entreprise nouvelle génération», j’ai mené un total de 250 entretiens dans 30 pays, dans des entreprises ayant toutes un très faible taux de rotation du personnel. Celles-ci ne versent pas forcément de meilleurs salaires que d’autres établissements équivalents du même secteur et ne sont pas particulièrement connues ni appréciées en raison de leur marque.

Dans ce cas, pourquoi leur taux de rotation est-il faible?

Parce qu’elles bénéficient d’une gestion réellement moderne: l’autorité y est décentralisée, ce qui favorise l’autonomie et la responsabilité des collaborateurs. Les différents rôles sont clairement définis. La transparence et la confiance occupent une place essentielle au sein de la direction d’entreprise. Celle-ci pratique un management basé sur la confiance plutôt que sur les bonus et les sanctions, positives ou négatives.

La jeune génération attache également de l’importance à des valeurs claires, telles que l’honnêteté, le sens des responsabilités et la créativité.

Luc Bretones

Comment retenir la jeune génération dans l’entreprise?

C’est une question d’authenticité en matière de direction. Il faut aussi cultiver des valeurs claires, telles que l’honnêteté, le sens des responsabilités et la créativité. Le pire des scénarios pour la jeune génération est que la direction manque de sincérité et de transparence, voire qu’elle mente à son personnel. Cela amènera les collaborateurs à quitter l’entreprise et à en avoir une mauvaise opinion. Les entreprises qui prétendent être parfaites se discréditent elles-mêmes. Mieux vaut qu’elles reconnaissent leurs points faibles et communiquent les objectifs qu’elles poursuivent en vue de s’améliorer.

Comment transformer un conflit en opportunité?

Les conflits et divergences d’opinions sont très précieux pour les entreprises. Une organisation composée de clones partageant tous les mêmes avis ne saurait être créative ni différenciée. Il est donc extrêmement précieux de bénéficier d’idées différentes, même si cela peut provoquer des conflits. Personnellement, je suis absolument ravi lorsque les personnes avec qui je collabore ou que je supervise expriment des opinions très différentes et même opposées. C’est une preuve de diversité, d’intelligence et de créativité.

Que faut-il de plus?

Il faut surtout une direction – en particulier au niveau du processus décisionnel ou de la gestion des réunions – qui permette d’exprimer des opinions différentes. Cela permet de trouver des solutions collectives, qui ne satisferont pas entièrement tout le monde, mais qui constitueront un compromis acceptable pour tous.

Et ce n’est pas grave?

Non, c’est même très bien. De nombreuses organisations agiles pratiquent un processus décisionnel dit «participatif». Celui-ci repose sur la prise de décision collective par consentement, car chacun peut prendre la parole et exprimer sa voix concernant la décision.

Comment ce processus fonctionne-t-il exactement?

Toute personne appartenant à l’organisation peut soumettre une proposition dans le cadre de son rôle et de ses responsabilités. Les autres membres de l’équipe peuvent optimiser ou affiner la proposition. Lorsqu’une proposition exprimée et améliorée par la collectivité ne met pas l’organisation en péril, elle doit pouvoir être mise en œuvre. Ainsi, chacun peut prendre part à la décision. Lorsque ce processus par consentement est appliqué à tous les niveaux de l’organisation, l’entreprise devient extrêmement agile.

Quel est l’avantage de cette démarche?

La prise de décision est beaucoup plus rapide que dans les entreprises traditionnelles, où les collaborateurs doivent s’adresser à leur supérieur et, s’ils ont de la chance, seront peut-être écoutés. Ce dernier doit à son tour poser la question à son supérieur, et ainsi de suite à travers tous les niveaux de la hiérarchie, vers le haut puis vers le bas. Ce long processus représente une grande perte de temps et d’énergie. Dans les entreprises agiles, chacun peut participer aux décisions à son niveau par le biais de son domaine de compétence ainsi que de ses rôles et responsabilités. Ainsi l’entreprise évolue-t-elle jour après jour; non pas à coup de détonations, mais grâce à une amélioration continue à tous les niveaux de l’organisation.

Les entreprises et organisations agiles gèrent également les conflits de façon plus productive.

En effet, les conflits sont en quelque sorte leur moteur: ces entreprises considèrent la diversité comme quelque chose de précieux et un véritable levier en matière d’innovation. Lorsqu’on adapte le management de façon à ce que chacun puisse s’exprimer et que l’organisation trouve une voie commune, l’intelligence collective fonctionne au mieux. Cela ne signifie pas que tous sont du même avis, bien au contraire.

Personnellement, je suis ravi lorsque les personnes que je supervise expriment des opinions différentes, voire opposées. C’est une preuve de diversité et d’intelligence.

Luc Bretones

Que faut-il pour régler un conflit de façon productive?

Du respect mutuel et de l’équité. Le manque de respect n’est tout simplement pas envisageable. Dans les entreprises agiles qui cultivent l’intelligence collective, la cordialité et la bienveillance à l’égard des autres sont primordiales. Comme évoqué, cela ne signifie pas que tous partagent les mêmes avis, mais que chacun est accepté avec ses particularités et que les différences sont perçues comme une richesse et non comme un problème.

Quels sont les principaux éléments pour qu’un conflit connaisse une issue positive?

La bienveillance, l’ouverture d’esprit, la cordialité ainsi que l’utilisation de rituels basés sur une prise de parole équitable permettant de faire face aux divergences d’opinions.

Quels rituels par exemple?

Il existe différents outils: la prise de décision par consentement que j’ai mentionnée, la réunion de gouvernance reposant sur le processus participatif, celui du feed-back et celui du retour sur expérience. Ce dernier permet de faire le point sur ce que nous pensions initialement et ce que nous avons appris. On peut aussi autoriser les salariés à commettre des erreurs parce que l’on préfère une mauvaise décision prise rapidement à l’absence de décision.

Il est toujours préférable de tenter quelque chose et d’en tirer des leçons plutôt que d’attendre trop longtemps. Dans notre économie de l’innovation, le droit à l’erreur et la sécurité psychologique deviennent des facteurs-clés de succès.

 

« L’entreprise nouvelle Génération »

Luc Bretones

Luc Bretones est associé du groupe Mandarina (NextGen, Holaspirit, Talkspirit), organisateur du «NextGen Enterprise Summit» et président d’honneur de l’Institut G9+, think tank de référence dans le domaine du numérique. Il est coauteur du livre «L’entreprise nouvelle génération», qui s’intéresse aux dirigeants d’entreprises de près de 30 pays, ayant introduit de nouvelles formes de direction. Il habite à Paris.